Renouvellement des générations en agriculture
Notre réponse à Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire
__
Monsieur le Ministre,
Lors de votre audition du 14 novembre 2023 par la Commission des affaires économiques du Sénat, vous avez été interrogé par le sénateur Daniel Salmon sur le financement du programme AITA et sur la reconnaissance de la pluralité des accompagnements à l’installation. Nous, FADEAR, FNAB, MIRAMAP, RENETA, Réseau CIVAM, SOL, Terre de Liens et pôle InPACT, souhaitons répondre aux éléments que vous avez exposés lors de cette audition.
Vous dites : “c’est une bonne facture que de ne pas anticiper trop parce que parfois on a tendance à faire du déclamatif, on croit que c’est auto-réalisateur. Vous voyez, on dit « je double le budget AITA et ça va doubler les installations ». Non, il faut qu’on double les installations et après le budget d’AITA s’alignera”.
Nous ne pouvons souscrire à cette affirmation selon laquelle les financements actuels du programme AITA seraient en phase avec les besoins liés au défi de renouvellement des générations. Au vu de ce que nous pouvons observer sur le terrain, le rythme des installations et transmissions ne peut croître sans une augmentation conséquente de son enveloppe et une amélioration des parcours. La Cour des Comptes et le CGAAER ont fait état des mêmes inquiétudes dans leurs rapports publiés récemment1.
L’un des objectifs du PLOAA est de relever le défi du renouvellement des générations agricoles et d’accompagner efficacement tout type de candidat à l’installation vers un projet économiquement viable mais aussi durable et socialement vivable, y compris ceux qui ne sont pas issus du monde agricole (NIMA) et qui représentent aujourd’hui 60% des candidats. Nous soulignons à ce sujet que la proposition de création d’un guichet unique – France Services Agricoles – assuré par les chambres d’agriculture n’améliorera pas de facto la dynamique des installations-transmissions. Pour “doubler les installations”, non seulement la conception mais aussi la mise en œuvre du futur dispositif devront s’inscrire dans une démarche pluraliste, entre toutes les structures complémentaires qui accompagnent aujourd’hui les futurs installés et cédants. La présence effective de l’ensemble des parties prenantes, chacune ayant une expertise propre, dans le pilotage et l’animation du dispositif sera un gage d’efficacité pour capter et accompagner convenablement un maximum de porteurs de projet. Le PLOAA devrait répondre à cet enjeu dès la création de France Services Agricoles notamment en inscrivant dans la loi des garanties sur le respect du pluralisme et les modalités de contrôle.
Nous vous rappelons ici, les trois principales recommandations issues de notre expérience :
1) Réformer les étapes clés du parcours national de préparation à l’installation et notamment reconnaître dans les politiques publiques la phase dite « d’émergence de projet ».
Cette phase n’est pas couverte par un volet spécifique du programme AITA et n’apparaît explicitement dans aucun des 18 sous-dispositifs AITA2. Principalement gérée par nos organisations paysannes, elle est sous-dotée financièrement alors qu’elle est la porte d’entrée qui permet de donner leur chance au public des “NIMA” .
2) Reconnaître le rôle essentiel de la coopération territoriale inter-structures.
Cette approche coopérative est mise en œuvre par nos structures associatives de développement agricole sur le terrain. De nombreux PAI refusent de reconnaître la pertinence de cette coopération, alors que son efficacité est prouvée pour assurer notamment la viabilité des installations et des reprises. A ce titre, le 14/09/2023, nous avons fourni à vos conseillers les preuves matérielles du refus catégorique de la part de certaines chambres régionales d’agriculture, de travailler en coopération avec nos structures régionales d’accompagnement à l’installation transmission. Ce travail de structuration de la coopération permet d’assurer une continuité dans le parcours d’installation des porteurs de projets, qui auront besoin de différentes expertises pour s’installer : pour accéder au foncier, commercialiser, se tester, démarrer avec du salariat, se former à l’agriculture biologique, à la conduite d’engins agricoles, etc. Assurer une telle continuité dans l’accompagnement s’avère tout aussi nécessaire pour les cédants.
3) Garantir par la loi un « pluralisme » efficace, pour s’assurer que les installations – transmissions en agroécologie et en agriculture biologique soient accessibles et valorisées pour tous.
Ce pluralisme doit se concrétiser de la gouvernance jusqu’à l’accompagnement technique : co-animation de l’accueil et des parcours officiels d’accompagnement auprès des porteurs de projets et des cédants. C’est-à-dire que tous les candidats à l’installation et les cédants doivent avoir accès à une information diversifiée, complète et sincère sur les possibilités d’accompagnement, quel que soit le stade d’avancement de leur projet. En dépit de l’existence d’un cahier des charges exigeant et clair sur la nécessaire exhaustivité des solutions d’accompagnements, les dispositifs officiels tels qu’ils sont appliqués sur le terrain oblitèrent la diversité et la structuration coopérative de nos accompagnements. Le pluralisme – gage d’exhaustivité et de qualité de l’information – ne pourra prendre véritablement corps que dans une forme de co-animation des parcours officiels.
Ces propositions permettront d’une part, de renforcer significativement les conditions d’installation des porteurs de projets, d’autre part, que les cédants puissent être décemment accompagnés dans la transmission de leur ferme pour pouvoir partir à la retraite, céder leurs outils de production dans de bonnes conditions, sans craindre que le fruit de leur travail ne disparaisse. Nous pensons que c’est en assurant la préparation anticipée des transmissions que nous permettons des installations durables en phase avec les besoins alimentaires des territoires et ainsi contribuer à renforcer durablement notre souveraineté alimentaire.
Vous avez également dit, lors de votre audition : “il va falloir que ceux qui se sentent en marge, décident de jouer dans le jeu et pas continuer à cultiver le côté marginal.”.
Nous regrettons la caricature à laquelle vous vous êtes livré et le discrédit que vous semblez vouloir apporter sur tout un pan des parties prenantes du monde agricole. Nous souhaitons vous rappeler que vous êtes le Ministre de l’agriculture dans toute sa diversité, et de l’ensemble de ses parties prenantes.
Nous, acteurs de l’installation-transmission, demandons à être reconnus à la hauteur de ce que nous apportons, en complément des autres acteurs. Et ce, afin de pouvoir démultiplier à l’avenir nos actions qui ont prouvé leur efficacité sur le terrain. Nous aspirons à prendre toute notre part pour répondre au défi du renouvellement des générations.
Aussi, Monsieur le Ministre, nous sollicitons une nouvelle fois un rendez-vous, notre dernier échange datant d’il y a plus d’un an. Nous vous invitons également à venir voir ce que nous faisons concrètement sur le terrain au bénéfice de toutes et tous.
Vous trouverez jointe à cette lettre une note détaillant les réformes qui nous semblent nécessaires dans le cadre de l’élaboration de la suite du programme AITA pour atteindre les objectifs que se fixe votre Ministère.
- Une note spécifique à la réforme du programme AITA et le financement de l’accompagnement à l’installation.
- Une note synthétisant l’ensemble de nos propositions sur les volets installation, transmission, foncier.
Nous vous prions d’agréer l’expression de notre plus haute considération.
Signataires :
Pour la FADEAR : Paul Reder, Président
Pour le Réseau CIVAM : Denis Lépicier, vice-président
Pour la FNAB : Philippe Camburet, Président
Pour le MIRAMAP : Florent Sebban, Porte-parole
Pour le RENETA : Amandine Largeaud et Julien Kieffer, co-président·es
Pour SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires : Jacques Godard, co-président
Pour Terre de Liens : Geneviève Bernard, présidente
__
Courrier original disponible ici
1) Inquiétudes suffisamment fondées pour que nous les retrouvions également dans les rapports suivants : CESE, COLY Bertrand, “Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture”, juin 2020 ; CGAAER, Évaluation du fonctionnement des structures chargées de la préparation à l’installation en agriculture, avril 2022 ; CGAAER, Adaptation de la politique d’accompagnement de l’installation en particulier vis-à-vis des personnes non issues du milieu agricole, avril 2023; Cour des comptes, La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, avril 2023. Notons d’ailleurs que seulement la moitié des personnes qui s’installent sont passées par le parcours officiel PAI (7000 sur 14 000 installations).
2) Cour des comptes 2023, op. cit. annexe 10
__
Glossaire :
- Programme « AITA » = programme pour l’accompagnement et la transmission en agriculture. Ce programme vise à accompagner les porteurs de projets d’installation issus ou non du milieu agricole, qui s’installent hors cadre familial.
- « NIMA » = « non-issu·e du milieu agricole ». Caractérise une personne s’installant comme agriculteur·rice mais dont les parents ne sont pas agriculteurs.
- « PLOAA » = Pacte et Loi d’orientation et d’avenir agricoles.